Le co-fondateur de Capital Legacy et économiste Swadicq Nuthay tire la sonnette d’alarme. La démographie est trop en baisse. En 2057, il n’y aura qu’une personne active pour subvenir à la pension d’un retraité.
MCB Focus revoit à la baisse le taux de croissance au vu de la situation économique internationale. Sommes-nous suffisamment armés pour faire face à une détérioration du climat économique mondial ?
Les perspectives de l’économie mondiale se sont aggravées. De nombreux économistes prévoient maintenant un ralentissement mondial en 2019, en raison des conflits commerciaux entre les États-Unis et la Chine, la dégradation des bénéfices des entreprises, la montée de la dette mondiale et la détérioration des indices économiques de la Chine.
La Banque mondiale est pessimiste. Votre avis ?
Dans son dernier rapport, la Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions pour l’économie mondiale. Son estimation est passée de 3 % en 2018 à 2,9 %. Elle cite des risques potentiels sur la croissance. Les effets découlant d’un ralentissement économique mondial auront un effet néfaste sur notre croissance économique : nos recettes d’exportation, déjà touchées par la baisse des prix du sucre, seront impactées.
Et le Brexit ?
Un ralentissement de la croissance économique des États-Unis et l’incertitude entourant le Brexit auront également un impact sur la croissance du secteur manufacturier, déjà confronté à des conditions difficiles en raison de la hausse des coûts et de la baisse de la productivité.
Les exportations par rapport au Produit intérieur brut (PIB) ont baissé, passant de 22,8 % en 2015 à 16,9 % en 2018. Un affaiblissement de la croissance économique mondiale affecterait également l’industrie du tourisme ainsi que le secteur financier, en particulier le segment offshore, car nous verrons probablement une baisse du commerce international et des flux d’investissements.
Pour revenir à votre question, la croissance est estimée à 3,9 % pour 2019, contre 3,8 % en 2018. Néanmoins, les projections de croissance économique reposent sur des hypothèses et des estimations de l’évolution future des facteurs de production qui sont sujets à des variations constantes. Donc, c’est loin d’être une science exacte.
Cependant, sans négliger le rôle de l’ensemble des facteurs de production, l’innovation et le progrès technique demeurent les facteurs les plus déterminants de la croissance durable, qui rendront plus productive une économie.
L’endettement du pays fait peur. La dette publique a augmenté de Rs 23 milliards en un an. Il a atteint les Rs 313 milliards à fin décembre 2018. Les récents commentaires de la chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) à Maurice, il y a quelques jours, recommande la prudence par rapport à la politique fiscale expansionniste. Ne faut-il pas que l’État soit moins dépensier pour freiner le recours à la dette ?
Vos chiffres sont corrects. La dette, c’est de l’impôt différé – c’est-à-dire, on emprunte parce qu’on ne veut pas augmenter les impôts maintenant. Cependant, cela implique que nos enfants et nos petits-enfants auront des taux d’imposition fiscale plus élevés pour des dépenses qu’ils n’auront pas votées.
On devrait aussi analyser l’effet de la dette publique sur la croissance économique. L’impact de la dette publique sur la croissance dépend du niveau du ratio d’endettement public en pourcentage du PIB.
Plusieurs études ont conclu à une relation négative entre la dette publique et la croissance du PIB par habitant, au-delà des barrières importantes pour la dette publique. Explicitement, pour les pays avancés et émergents ayant respectivement un seuil d’endettement dépassant 60 % et 40 % du PIB, un accroissement de la dette publique a eu pour résultat un ralentissement de la croissance économique, dans le long terme.
Il y a un manque de motivation chez les Mauriciens à faire carrière dans le textile.»
Et le service de la dette ?
Au-delà de la dette en elle-même, c’est le service de la dette qui a encore plus d’importance. Le service de la dette est le paiement des intérêts sur le stock de la dette du passé. Par exemple, si vous empruntez à 5 % pour investir à 3 %, vous n’avez pas besoin de faire de grandes études en mathématiques ou en économie pour comprendre que vous faites un très mauvais investissement.
L’équation est simple : le service de la dette est-il supérieur ou inférieur au taux de croissance de l’économie dans le long terme ? Les pays qui ont des taux de croissance nettement inférieurs à celui de leurs emprunts finiront par s’enfoncer dans la spirale infernale de la dette. C’est l’effet boule de neige.
De mon point de vue d’économiste, le rapport entre le taux de croissance de l’économie et le taux d’intérêt que nous payons pour la dette est donc crucial. Et ceci déterminerait si la dette a été productive ou destructive pour le pays. Une augmentation de la dette publique maintenant équivaut à une hausse future des charges du service de la dette qui, à son tour, engendrait plus d’impôts et donc moins de dépenses publiques productives dans le long terme.
Dans cette même logique, l’économiste Milton Friedman avait dit cette phrase : « Moins est le poids de l’État dans l’économie, mieux c’est pour l’économie. » Ce qu’il veut dire, c’est que si la dette sert à augmenter le poids de l’État dans l’économie, c’est mauvais pour l’économie et, bien entendu, pour la croissance.
Le communiqué émis par la délégation du FMI à Maurice fait aussi mention de la détérioration du compte courant de la balance de paiement. Est-ce que cela découle d’une baisse de nos exportations ?
Nos exportations ont en effet connu une baisse en termes absolus et relatifs. Le ratio de l’exportation par rapport au PIB a chuté, passant de 22,8 % en 2015 à 16,9 % en 2018. Sur les dix dernières années, de 2007 à 2017, la compensation salariale pour l’économie globale et le secteur manufacturier a respectivement connu une hausse annuelle de 5,4 % et 5,1 % en moyenne, alors que les gains en productivité ont augmenté de 2,5 % et 3,1 % seulement. Une simple analyse démontre que le coût de production a augmenté de 2,8 % pour l’économie globale et de 2 % pour le secteur manufacturier, sans compter les autres facteurs de production.
Sommes-nous moins compétitifs ?
Outre les apports en main-d’œuvre et en capital, l’indice de productivité globale des facteurs de production qui tient compte des facteurs qualitatifs, tels qu’une meilleure gestion et une amélioration de la qualité des intrants par la formation et la technologie, montre aussi une baisse de la croissance annuelle, qui est passée de 1,9 % en 2016 à 1,4 % en 2017.
Pour le secteur manufacturier, la croissance de la productivité globale est passée de 3,3 % en 2016 à 1,9 % en 2017. Tous ces indicateurs démontrent que nous sommes de moins en moins compétitifs. Cela explique en grande partie la baisse de nos exportations en termes absolus et en pourcentage du PIB.
L’usine textile Palmar Ltée a été placée sous « receivership », la CMT parle encore de délocalisation… Le secteur manufacturier a-t-il encore un avenir chez nous ?
Tout l’écosystème du secteur manufacturier a changé pendant plus d’une décennie. Les acheteurs ne détiennent plus de gros stocks avec pour résultat un manque de visibilité pour les opérateurs. De plus, l’avènement de l’e-Commerce, voire des achats en ligne, a complètement changé le business model de ce secteur.
De plus, la grosse majorité de nos opérateurs sont des entreprises familiales qui ont un accès limité aux marchés de capitaux et qui ont jusqu’ici eu recours principalement à leurs propres ressources et aux banques commerciales pour le financement de leurs opérations et investissements.
L’introduction du salaire minimal ne suffit pas pour éradiquer la pauvreté absolue.»
Pourquoi les banques sont-elles réticentes à offrir des prêts ?
Vu que cette industrie est considérée comme étant à haut risque, les banques sont réticentes à augmenter leur exposition à ce secteur. Résultat des courses : nombreuses sont ces entreprises qui n’ont pas investi dans de nouveaux équipements et autres technologies de pointe. Cela a eu pour conséquence une baisse de productivité et de compétitivité à tous les niveaux.
Sur les dix dernières années, soit de 2007 à 2017, la compensation salariale pour le secteur manufacturier a connu une hausse annuelle de 5,1 % en moyenne, alors que les gains en productivité ont augmenté de 3,1 % seulement. Le salaire minimal est venu sans doute exacerber la situation.
L’Union européenne (UE) a été très sévère par rapport à la politique de taxation du « Global Business ». Expliquez-nous ce qui ne va pas. Devrions-nous toujours céder aux récriminations de ces instances internationales ? Faut-il changer de système pour mettre sur un pied d’égalité les sociétés offshore et les autres par rapport au taux d’impôt ?
Maurice a déjà entamé une refonte du régime fiscal et du Global Business en 2018, suite aux appréhensions de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Nous étions sous l’impression que la réforme était conforme aux exigences de l’UE. Nous avons donc été surpris de constater le contenu du rapport de l’UE par rapport au nouveau régime fiscal et du Global Business.
Le régime mauricien a été revu sous cinq critères. Il s’avère que dans un des critères, en l’occurrence la « substance », l’UE met en doute l’efficience des mesures proposées dans la Finance Act 2018. Plus spécifiquement, ils sont concernés par la possibilité que les amendements apportés au niveau de la substance ne soient que cosmétiques et puissent procurer des moyens pour contourner les règles de l’UE.
Mais encore ?
Dans deux autres critères, notamment liés à l’exonération partiels de certains types de revenus, l’UE craint que malgré la réforme proposée, le nouveau régime ne soit bénéfique qu’aux non-résidents. Elle demande donc à analyser les statistiques en temps et en lieu pour évaluer la situation. Nous nous retrouvons encore une fois dans une situation faite d’incertitudes après la réforme de 2018.
Ma crainte est quelles seront les implications d’une conclusion potentielle de l’UE si notre nouveau régime fiscal n’établit pas le level-playing field entre les résidents et les non-résidents ? Je suis d’avis qu’il faudra opter pour un nivellement du taux d’imposition de la Corporate Tax pur et simple entre l’onshore et l’offshore. Même si cela aura un impact sur les revenus de l’État dans le court terme, cela créera un nouveau dynamisme et attirera beaucoup plus d’activités économiques avec des substances à Maurice dans le long terme.
Pour revenir à la dernière partie de votre question, à mon avis nous avons besoin d’une réforme plus en profondeur de notre centre financier au lieu des colmatages pour accommoder notre écosystème actuel.
Il existe désormais un salaire minimal. Pourquoi autant de réticences de la part des Mauriciens à se tourner vers le textile et à rester embrigadés dans l’ancien schéma ?
Il ne faut pas tomber dans l’irrationnel. Le salaire est déterminé par l’offre et la demande, mais aussi par la productivité et la valeur ajoutée du salarié. On doit se poser la question : pourquoi les entreprises se tournent-elles vers les travailleurs étrangers, surtout dans le secteur manufacturier et de la construction ? Il est triste de constater qu’il y a un manque d’enthousiasme et de motivation chez les Mauriciens à faire carrière dans le textile.
Avec le salaire minimal, la pauvreté aurait dû régresser, mais il n’en est rien. Pourquoi ?
Il y a une différence entre le salaire minimal et le seuil de pauvreté. Le salaire minimum cible les travailleurs aux bas salaires plutôt que les familles à faibles revenus. Prenons l’exemple des États-Unis. Le montant du salaire minimal qu’ils proposent est en dessous du seuil de pauvreté. L’indicateur statistique, plus fréquemment utilisé pour évaluer le niveau du salaire minimal par rapport à la situation économique et sociale nationale, est sans doute le ratio du salaire minimum contre les salaires médians et non le seuil de la pauvreté. Ce ratio est connu comme l’indice Kaitz.
Il est utilisé dans de nombreux pays comme un outil pour surveiller le niveau du salaire minimum. Les débats tournent souvent autour de la question du « Kaitz ratio » qui est approprié dans les circonstances nationales pour maximiser les avantages sociaux et économiques, tout en minimisant les effets indésirables possibles d’emploi ou d’inflation. La réduction de l’inégalité des revenus et la croissance sont deux mesures importantes pour combattre la pauvreté.
Néanmoins, il faut comprendre que l’introduction du salaire minimal ne suffit pas pour éradiquer la pauvreté absolue. La mise en place d’un cadre visant à réduire l’inégalité en amont aura un impact plus efficace, le salaire minimal n’étant qu’une des mesures de la politique de la réduction de l’inégalité.
Venons-en à la guéguerre des 3, 4 et 5 crédits en School Certificate (SC). Quelle serait la meilleure option pour éviter un nivellement vers le bas ?
La polémique autour des crédits pour accéder au HSC est secondaire. De mon point de vue d’économiste, il faut une analyse approfondie du système éducatif et des taux de réussite.
Soyez plus clair…
On peut noter que de 2011 à 2018, le taux de réussite des examens du SC a chuté de 77 % à 72 % et celui du Higher School Certificate (HSC) de 79 % à 75 %. Avant 2011, le taux de réussite était de 78 % pour la SC et 79 % pour le HSC avec le nombre de crédits requis pour accéder au HSC à 5 crédits.
Il y a certainement eu une baisse du niveau sur les 10 dernières années, mais peut-on blâmer le nombre de crédits nécessaires pour ces statistiques peu encourageantes ? À mon avis, non. Avec le progrès de l’informatique et d’autres facilités, telles que le transport gratuit et l’acquittement des frais d’examens dont bénéficient les collégiens, on aurait espéré que ces taux de réussite soient largement supérieurs à ce qu’ils ont été il y a dix ans.
Le plus inquiétant est que sur la dernière décennie, le pourcentage d’élèves ayant pris part aux examens du Certificate of Primary Education et qui réussissent aux examens du HSC est passé de 32 % à 34 % seulement. Ces taux sont jugés faibles pour un pays qui aspire à devenir un pays à hauts revenus.
Mais où est le problème ?
Le problème est plus fondamental. Il nous faut plutôt une refonte du système éducatif ainsi que des mesures pour stimuler la politique d’innovation qui s’avéreront déterminants pour libérer les nouveaux secteurs de croissance. Il est essentiel de produire des techniciens et des professionnels de haute facture et mieux adaptés pour intégrer une économie fondée sur la connaissance. Cela permettrait de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de compétences, un obstacle majeur dont souffre notre pays aujourd’hui.
Ceci dit, la polémique autour des crédits pour accéder au HSC est de mon point de vue un débat stérile. On devrait s’attaquer à la racine du problème. On devrait déterminer les raisons pour lesquelles deux tiers des élèves ayant terminé leurs études primaires n’arrivent pas à compléter leurs études secondaires.
Le communiqué du FMI a recommandé la prudence par rapport aux effets du vieillissement rapide de la population sur la stabilité économique. Votre point de vue sur la question ?
La croissance de la population active ralentit. Selon les statistiques disponibles, le ratio de la population active était de 65,5 % en 2017 et, selon les projections du ministère de la Santé, il régressera à 58,9 % en 2037 et 53 % en 2057.
Comment definit-on une population active ?
La population active se définit comme l’ensemble des personnes en âge de travailler qui sont disponibles sur le marché du travail, qu’elles aient un emploi (population active occupée) ou qu’elles soient au chômage.
Dans la foulée, la croissance de la population âgée s’accélérera. Le Pensioner Support Ratio, c’est-à-dire le ratio des personnes actives par rapport aux retraités, est en baisse. En 2017, le ratio était de quatre personnes actives – âgées entre 15 et 59 ans –, pour chaque retraité. En 2027, le ratio passera à trois. En 2032, il sera de deux personnes actives pour chaque retraité. Alors qu’en 2057, ce ratio tombera à un. Ce qui signifie qu’il ne devrait y avoir qu’une seule personne active pour chaque retraité, selon les dernières projections.
Le vieillissement démographique représente un risque significatif pour la viabilité à long terme des finances publiques car il y aurait une réduction des taux de participation et une hausse des taux de dépendance. Il faut donc tenir compte des conséquences du vieillissement rapide afin d’éviter des déséquilibres dans l’économie.